Aujourd'hui nous parlons beaucoup de diversité, de parité homme/femme dans toute notre société. Nous retrouvons cette même tendance dans les métiers du numérique. Les chiffres sont indéniables mais est ce un phénomène éphémère ou un mal profond ? Que pouvons nous faire pour changer cette tendance ?
J'ai choisi de mener une interview croisée de plusieurs femmes travaillant dans le numérique. Le principe est simple, je pose les mêmes questions à plusieurs personnes et je retranscris ici les réponses.
Retrouvez la première interview de Stéphanie Desplanche, chef de projet passionnée par la donnée. Aujourd'hui je donne la parole à Amélie Cordier enseignante chercheur à Lyon.
Peux tu te présenter en quelques mots? Ton parcours, ton travail...
Je suis maître de conférences en informatique. J'enseigne à l'IUT Lyon 1 et je fais ma recherche dans un gros laboratoire de recherche qui s'appelle le LIRIS (Laboratoire d'InfoRmatique en Image et Systèmes d'information).
Je suis arrivée là plutôt par hasard. J'ai commencé par une Fac de sciences parce que je voulais faire des maths (DEUG MIAS : Mathématiques et Informatique Appliqués aux Sciences). Pendant mes études, j'ai trouvé un petit boulot comme "support informatique" en Fac de psycho. Je me suis retrouvée dans une équipe de véritables geeks qui géraient (parce que ça les amusait) un parc informatique à destination des étudiants et du personnel de la fac de psycho. L'ensemble du parc, des outils et des services avait des années d'avances sur ce que nous avions en fac de sciences, un comble.
J'ai beaucoup appris sur l'informatique et l'administration système en Fac de Psycho, et j'ai compris que je voulais aller plus loin. J'ai passé les examens du DEUG sans avoir beaucoup usé les bancs des amphis, puis je me suis tournée vers l'INSA pour faire de l'informatique. Je n'y ai passé que deux ans, car j'ai profité de la troisième année pour faire un DEA en intelligence artificielle en parallèle. C'est cela qui m'a conduite jusqu'à Lyon. Ensuite, j'ai obtenu une bourse de thèse un peu par hasard (je ne voulais pas faire de thèse initialement). Puis, une chose en amenant une autre, je me suis retrouvée maître de conférences.
Qu'est qui t'a poussé à suivre des études scientifiques ou informatiques ?
Initialement, ce sont les mathématiques. Gamine, j'adorais ça parce que tout me paraissait simple... et c'était devenu une forme de jeu. Au moment de choisir mon orientation plus tard, je n'avais vraiment aucune idée de ce que je voulais faire... alors j'ai pris la solution de facilité : continuer des études sur ce que j'aime en me disant qu'on verrait bien où ça me mènerait.
Quand j'ai découvert les aspects "admin" et "dév" de l'informatique, j'ai compris que ça me plaisait : c'était aussi ludique que les maths (pour moi), mais en plus, je voyais plus distinctement "ce que l'on pouvait faire avec", et donc j'étais d'autant plus motivée à approfondir.
Quels sont à ton avis les facteurs qui font que les filles ne s'orientent pas vers les métiers du numérique ou plus généralement des métiers scientifiques ?
Je ne m'aventurerai pas à commenter les questions relatives aux prédispositions intellectuelles, aux propriétés du cerveau qui font que les filles sont plus comme ci ou comme ça que les garçons. Idem pour les gauchers / droitiers. Je suis une fille, gauchère, et j'ai un excellent sens de l'orientation, une très bonne capacité à me représenter les environnements 3D, un esprit cartésien et une logique à toute épreuve... bref, tout le contraire de ce que nous disent la plupart des idées reçues.
Ensuite, il y a la question des facteurs sociaux et culturels : est-ce que notre société construit les tendances en envoyant des messages aux enfants dès leur plus jeune âge (poupées pour les filles, petit chimiste pour les garçons) ? Probablement... mais je pense aussi que c'est en train de changer, de même que la vision que les gens ont de nos métiers est en train de changer aussi.
Par exemple, il y a dix ans, les geeks étaient des personnes peu fréquentables, associales, immatures... Maintenant, être geek, c'est classe. En dix ans, la technologie a tellement envahi nos vies que les gens n'ont plus le choix : la technologie est là... et il y a clairement une discrimination qui s'établit entre les gens qui l'acceptent et ceux qui la refusent et/ou ne la comprennent pas. Du coup, ceux qui "savent" deviennent des modèles. Je pense que c'est un aspect inédit qu'il faut prendre en compte aussi dans l'étude de la façon dont les choses changent en ce moment.
Jusqu'à récemment, les populations avaient eu le temps de s'adapter aux nouvelles technologies, de les comprendre et de se les approprier ou pas (l’électricité, le téléphone, la télévision... tout cela s'est passé progressivement). Aujourd'hui, les technologies arrivent tellement vite qu'il faut les utiliser sans les comprendre (sans en mesurer les dangers d'ailleurs), et finalement, ce sont les enfants qui s'en sortent probablement le mieux... car ils se posent moins de questions.
Si on te donnait carte blanche aurais tu des idées pour inverser cette tendance ?
La question n'est pas vraiment d'avoir des idées... mais de savoir si c'est utile. Comme je l'ai dit plus haut, je pense que le regard est en train de changer par rapport à la technologie, et que les gens prennent conscience, malgré eux, qu'il faut s'y mettre.
Je pense que les parents sont de plus en plus sensibles au fait que leurs enfants doivent maîtriser les technologies s'ils veulent s'en sortir à l'avenir, et sur ce plan, je ne pense pas que les filles soient plus lésées que les garçons... ensuite, se pose la question de comment les motiver tout au long de leurs études... et là... je n'ai pas d'idée... Encourager la fabrication de robots en robes roses ne me semble pas un bon point de départ cela dit :)
Si tu te projettes dans quelques années est ce que tu veux continuer à faire la même chose, est ce que tu veux changer de secteur, évoluer de position.... ?
J'adore mon métier, mais la recherche française marche sur la tête en ce moment, et les universités ne font guère mieux. C'est probablement très pessimiste mais je désespère d'arriver à faire changer le système à mon niveau et dans ma position actuelle.
Je pense que les parents sont de plus en plus sensibles au fait que leurs enfants doivent maîtriser les technologies s'ils veulent s'en sortir à l'avenir, et sur ce plan, je ne pense pas que les filles soient plus lésées que les garçons... ensuite, se pose la question de comment les motiver tout au long de leurs études... et là... je n'ai pas d'idée... Encourager la fabrication de robots en robes roses ne me semble pas un bon point de départ cela dit :)
Si tu te projettes dans quelques années est ce que tu veux continuer à faire la même chose, est ce que tu veux changer de secteur, évoluer de position.... ?
J'adore mon métier, mais la recherche française marche sur la tête en ce moment, et les universités ne font guère mieux. C'est probablement très pessimiste mais je désespère d'arriver à faire changer le système à mon niveau et dans ma position actuelle.
Nous sommes coincés dans une logique de contrôle, de surveillance et de bénéfice à court terme. Les conséquences sont à mon sens dramatiques : l'urgence est de faire de la paperasse administrative pour tout (demander de l'argent, justifier l'argent obtenu, justifier le temps passer à demander de l'argent, etc.), et les fondamentaux de notre métier (la valorisation, la dissémination, la recherche) sont complètement occultés car ils ne "rapportent pas".
De plus, cette politique porte le coup de grâce à la recherche fondamentale, à la créativité, et de fait à la véritable innovation. Les conséquences sur les individus sont assez dramatiques également : dans la course à l'excellence et à l'argent (pour financer la recherche, entendons-nous), les individus deviennent de plus en plus individualistes et égoïstes, et en oublient des valeurs fondamentales telles que l'entraide, la collaboration et le travail d'équipe qui, à mon sens, sont des facteurs clés pour le succès de projets de recherche. J'avais une vision probablement trop idéaliste de mon métier : celle d'un métier dans lequel il s'agissait d'enseigner, d'informer la population, de chercher des solutions aux questions sociétales qui nous entourent et d'inspirer nos concitoyens. En ce moment, j'ai trop souvent l'impression que nous sommes des contre-exemples de tout cela.
Cela dit, après cette minute de pessimiste, je vois aussi les côtés positifs : il se passe des choses très intéressantes en recherche (je ne détaille pas ici), mais aussi dans le milieu de l'animation scientifique. J'ai participé à plusieurs reprises à des actions d'animation auprès des jeunes (coding goûters, ateliers de robotique, ateliers de programmation, etc.). Ce sont des expériences vraiment enrichissantes : on voit les enfants se donner à fond sur des vrais problèmes... s'investir... chercher... réfléchir... et surtout, ne pas avoir peur d'essayer, de tester, d'expérimenter.
Le fait que ces initiatives aient lieu en dehors de l'école les motive également... pour eux, cela devient un loisir... et c'est une bonne nouvelle. Dans ce genre d'événement, les filles et les garçons sont sur un pied d'égalité... Ils ont des comportements différents (les filles sont souvent plus méthodiques et organisées, les garçons souvent plus confus mais plus "aventuriers"), mais les deux se complètent bien et le travail en équipe s'organise naturellement...
De nombreuses initiatives de ce genre émergent en ce moment, ce à quoi viennent s'ajouter la création de structures telles que la MMI (Maison des Mathématiques et de l'Informatique) qui sont des lieux de rencontre entre les sciences et le grand public. Dans l'enseignement, les pratiques changent aussi... nouvelles formes d'apprentissage par le jeu, classes inversées, projets à tous les étages, semaines scientifiques... autant d'initiatives qui changent la façon de voir la science et qui bouleversent peut-être un peu les idées reçues, en particulier celles liées au genre.
Alors c'est probablement là que je me vois dans quelques années... peut-être pas à temps plein, mais au moins à temps partiel : dans l'animation scientifique, la diffusion et la valorisation des travaux de la recherche.
De plus, cette politique porte le coup de grâce à la recherche fondamentale, à la créativité, et de fait à la véritable innovation. Les conséquences sur les individus sont assez dramatiques également : dans la course à l'excellence et à l'argent (pour financer la recherche, entendons-nous), les individus deviennent de plus en plus individualistes et égoïstes, et en oublient des valeurs fondamentales telles que l'entraide, la collaboration et le travail d'équipe qui, à mon sens, sont des facteurs clés pour le succès de projets de recherche. J'avais une vision probablement trop idéaliste de mon métier : celle d'un métier dans lequel il s'agissait d'enseigner, d'informer la population, de chercher des solutions aux questions sociétales qui nous entourent et d'inspirer nos concitoyens. En ce moment, j'ai trop souvent l'impression que nous sommes des contre-exemples de tout cela.
Cela dit, après cette minute de pessimiste, je vois aussi les côtés positifs : il se passe des choses très intéressantes en recherche (je ne détaille pas ici), mais aussi dans le milieu de l'animation scientifique. J'ai participé à plusieurs reprises à des actions d'animation auprès des jeunes (coding goûters, ateliers de robotique, ateliers de programmation, etc.). Ce sont des expériences vraiment enrichissantes : on voit les enfants se donner à fond sur des vrais problèmes... s'investir... chercher... réfléchir... et surtout, ne pas avoir peur d'essayer, de tester, d'expérimenter.
Le fait que ces initiatives aient lieu en dehors de l'école les motive également... pour eux, cela devient un loisir... et c'est une bonne nouvelle. Dans ce genre d'événement, les filles et les garçons sont sur un pied d'égalité... Ils ont des comportements différents (les filles sont souvent plus méthodiques et organisées, les garçons souvent plus confus mais plus "aventuriers"), mais les deux se complètent bien et le travail en équipe s'organise naturellement...
De nombreuses initiatives de ce genre émergent en ce moment, ce à quoi viennent s'ajouter la création de structures telles que la MMI (Maison des Mathématiques et de l'Informatique) qui sont des lieux de rencontre entre les sciences et le grand public. Dans l'enseignement, les pratiques changent aussi... nouvelles formes d'apprentissage par le jeu, classes inversées, projets à tous les étages, semaines scientifiques... autant d'initiatives qui changent la façon de voir la science et qui bouleversent peut-être un peu les idées reçues, en particulier celles liées au genre.
Alors c'est probablement là que je me vois dans quelques années... peut-être pas à temps plein, mais au moins à temps partiel : dans l'animation scientifique, la diffusion et la valorisation des travaux de la recherche.
Merci Amélie
Dans le prochain article Agnes Crepet, informaticienne multi facettes répondra aux mêmes questions.
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