Je rappelle le contexte de ces interviews.
Aujourd'hui nous parlons beaucoup de diversité, de parité homme/femme dans toute notre société. Nous retrouvons cette même tendance dans les métiers du numérique. Les chiffres sont indéniables mais est ce un phénomène éphémère ou un mal profond ? Que pouvons nous faire pour changer cette tendance ?
J'ai choisi de mener une interview croisée de plusieurs femmes travaillant dans le numérique. Le principe est simple, je pose les mêmes questions à plusieurs personnes et je retranscris ici les réponses.
Retrouvez les interviews précédentes de
- link Stéphanie Desplanche, chef de projet passionnée par la donnée
- link Amélie Cordier enseignante chercheur à Lyon.
- link Agnes Crepet informaticienne multi facettes.
Aujourd'hui je donne la parole à Audrey Neveu développeuse passionnée.
Peux tu te présenter en quelques mots? Ton parcours, ton travail...
Je suis développeur full stack, mais plutôt orientée Java, back-end, Big Data et DevOps. Après 4 ans et demi chez Sfeir, j’ai voulu mettre fin à un vieux regret : celui de ne pas avoir tenté l’expatriation. J’ai donc sauté le pas avec Red Hat à Londres, mais le métier de consultant n’est pas du tout pour moi (bien trop loin du code) … et l’Angleterre non plus :) Je suis donc rentrée rapidement en France et je travaille actuellement pour GeoKaps, un réseau social géolocalisé en cours de développement. Je suis aussi co fondatrice de Devoxx4Kids en France et j’ai avant cela été engagée dans d’autres initiatives pour les minis (Programatoo) et les grands geeks (ParisJug, Devoxx France, Devoxx UK, Duchess France).
Qu'est qui t'a poussé à suivre des études scientifiques ou informatiques ?
Quels sont à ton avis les facteurs qui font que les filles ne s'orientent pas vers les métiers du numérique ou plus généralement des métiers scientifiques ?
De manière générale, il y a un gros problème de mixité sociale en école d’ingénieurs, et pas seulement de mixité des genres. Il y a encore eu une étude très récente (voir cet article du Monde) qui vient confirmer ce que l’on peut déjà constater en regardant une population de développeur dans une conférence : il s’agit majoritairement d’hommes blancs issus de milieux socio-professionnels plutôt favorisés. Si cela pouvait sembler “logique” dans le cas particulier de l’informatique il y a quelques années, quand les ordinateurs familiaux étaient l’exception et non pas la règle, cela devrait s’atténuer avec le temps et pourtant il semble qu’il n’en soit rien.
En ce qui concerne l’informatique en particulier, bien qu’un peu plus mis en lumière ces derniers temps, nos métiers sont encore méconnus et mal valorisés. Lorsque quelqu’un me demande ce que je fais dans la vie et que je réponds que je suis développeur; la plupart du temps il / elle a une vague idée de ce que je fais (de l’informatique) sans pour autant comprendre ma spécialité (logiciel et matériel, c’est du pareil au même) et surtout ce qui en fait à la fois l’essence et la richesse (créativité, travail d’équipe mais aussi challenge et apprentissage permanents). Il y a de fortes chances que ça lui paraisse aussi excitant que le métier d’expert comptable à mes yeux ...
Si l’on ajoute à cela des dizaines d’années de clichés à base de régime pizza / soda, nuits blanches à coder et absence de vie sociale pas étonnant que nous ayons quelques difficultés à recruter. De là à expliquer complètement la baisse du nombre d’élève qu’il y a eu en écoles d’ingénieurs ces dernières années, peut être pas, mais quand on sait que certaines de ces mêmes écoles d’ingénieurs qui étaient censés les former méprisaient le métier de dév il n’y a pas si longtemps que ça …
En revanche en ce qui concerne les filles plus particulièrement, le problème ce n’est pas l’informatique puisque jusque dans les années 80, le métier de développeur était quasiment dominé par elles. Il s’agit je pense de quelque chose d’infiniment plus complexe mais qui se trouve probablement alimenté par le problème de l’égalité homme femme. Lorsque l’ordinateur est devenu populaire il a été assimilé à un jouet pour garçons et les filles ont été éliminées de l’équation. Et le problème est le même dans bien d’autres cas : tant qu’il y aura des jouets pour fille (rose, de préférence) et des jouets pour garçons bien distincts qui disent aux enfants à quels “loisirs” ils peuvent s’adonner et à quels métiers ils peuvent prétendre, on ne verra pas assez de filles développeur, conductrice d’engin, mécano ou pilote de chasse et de garçons sage-femme, esthéticien, assistant social ou couturier. (A voir sur le sujet, l’excellent talk de Brigitte Grésy au dernier TEDx CE Women)
Je ne m’étais pas rendue compte à quel point ça peut conditionner certaines personnes jusqu’à ce que j’ai l’occasion de le vérifier par moi-même lors de Devoxx4Kids, en particulier pendant les ateliers Mindstorms. A chaque fois que j’entends des phrases comme “de toutes façons je n’y arriverai pas, je suis nulle” ou bien “on va moins vite, c’est normal on est que des filles”, mon sang ne fait qu’un tour ! Alors bien sûr, ce ne sont pas toutes les filles et à celles qui sont venues on peut leur expliquer que non, la génétique n’a rien à voir là dedans, c’est juste une question d’apprentissage ... Mais combien n’osent même pas venir en atelier à cause de ça ?
Si on te donnait carte blanche aurais tu des idées pour inverser cette tendance ?
Pour moi la seule solution possible c’est l’enseignement : il n’y a que l’école qui puisse toucher le plus grand nombre et promouvoir l’égalité homme-femme dès le plus jeune âge.
Lorsque l’on a crée Programatoo en 2012 Aline (@bootis) et moi, nous avions voulu aller voir l’Education Nationale, qui à l’époque n’en avait pas grand chose à faire d’enseigner le code aux enfants. Comme on nous parlait de travaux d’études avec des délais de mise en place qui se comptaient en années et que nous ne sommes pas les nanas les plus patientes du monde, nous avons monté notre propre atelier d’apprentissage de la programmation sur les temps d’activité périscolaires avec le soutien de la ville de Nanterre et de la direction de Sfeir. Pendant un an, nous avons eu deux groupes d’enfants de 8 à 10 ans, une heure et demie par semaine, sur un semestre entier chacun. Nous avons fait du Scratch, du Ruby, du Small Basic, du Robozzle et nous avons même eu la chance qu’Aldebaran vienne avec NAO et ses équipes ! Et surtout, ce qui importait le plus pour nous, c’est que nous étions en ZEP. Donc face à des enfants qui n’avaient pas tous accès à un ordinateur à la maison et pour qui le principe de méritocratie risque de rester un concept abstrait pendant encore longtemps.
Aujourd’hui les choses bougent mais je ne suis pas vraiment satisfaite de la façon dont elles bougent. L’option informatique qui a été introduite en Terminale S a été très bien conçue sur le plan pédagogique, mais personne n’a pensé qu’il serait bon de recruter de vrais professeurs d’informatique, plutôt que de demander aux professeurs de techno, de maths ou encore de physique chimie de tenir le rôle. De même l’enseignement de la programmation va être rendu obligatoire en primaire, et à priori ce sera aux instituteurs de se débrouiller avec. (sic) Or pour moi, c’est un enseignement qui aurait du rester optionnel car comme nous avons pu le voir pendant nos ateliers Aline et moi, certains enfants n’adhèrent pas du tout à l’informatique en général et au code en particulier … et tant mieux ! Il ne doit pas s’agir de former des armées de développeur, mais de donner l’opportunité aux enfants d’explorer un domaine qui resterait totalement inconnu à ceux qui n’ont personne dans leur entourage pour les initier et peut être pas non plus accès à un ordinateur. Car oui il y en a encore en France en 2015, wake up!
Donc si j’avais carte blanche, je commencerai pas une grosse réforme de l’Education Nationale pour qu’elle soit plus proche du monde professionnel en général, et pas seulement des développeurs car il y a sûrement beaucoup d’autres métiers peu ou pas connus et donc beaucoup de ratés au niveau de l’orientation. Mais comme j’ai quand même appris deux trois trucs à force de fréquenter des agilistes à Mix-It, je la ferai porter par les premiers intéressés : les enseignants, les enfants et les professionnels !
Si tu te projettes dans quelques années est ce que tu veux continuer à faire la même chose, est ce que tu veux changer de secteur, évoluer de position.... ?
Quand on fait un bilan de compétences, on nous demande de trouver 3 options d’orientation ”réalistes et réalisables” (donc pas astronaute ou éleveur de bonbons bio, ça ne marche pas) et pour nous aider, on nous donne la liste de tous les métiers recensés par le ministère du travail. Quand je suis tombée sur celui de développeur, j’ai pensé “donc en fait ça consiste à être payée pour jouer aux legos ? OK, j’ai trouvé.” et je ne m’étais pas trompée puisque je m’amuse toujours autant … et quand je vois tout ce qu’il me reste encore à apprendre, je me dis que je ne suis pas prête de m’ennuyer. Donc non merci, je ne changerai pour rien au monde :)
Lorsque l’on a crée Programatoo en 2012 Aline (@bootis) et moi, nous avions voulu aller voir l’Education Nationale, qui à l’époque n’en avait pas grand chose à faire d’enseigner le code aux enfants. Comme on nous parlait de travaux d’études avec des délais de mise en place qui se comptaient en années et que nous ne sommes pas les nanas les plus patientes du monde, nous avons monté notre propre atelier d’apprentissage de la programmation sur les temps d’activité périscolaires avec le soutien de la ville de Nanterre et de la direction de Sfeir. Pendant un an, nous avons eu deux groupes d’enfants de 8 à 10 ans, une heure et demie par semaine, sur un semestre entier chacun. Nous avons fait du Scratch, du Ruby, du Small Basic, du Robozzle et nous avons même eu la chance qu’Aldebaran vienne avec NAO et ses équipes ! Et surtout, ce qui importait le plus pour nous, c’est que nous étions en ZEP. Donc face à des enfants qui n’avaient pas tous accès à un ordinateur à la maison et pour qui le principe de méritocratie risque de rester un concept abstrait pendant encore longtemps.
Aujourd’hui les choses bougent mais je ne suis pas vraiment satisfaite de la façon dont elles bougent. L’option informatique qui a été introduite en Terminale S a été très bien conçue sur le plan pédagogique, mais personne n’a pensé qu’il serait bon de recruter de vrais professeurs d’informatique, plutôt que de demander aux professeurs de techno, de maths ou encore de physique chimie de tenir le rôle. De même l’enseignement de la programmation va être rendu obligatoire en primaire, et à priori ce sera aux instituteurs de se débrouiller avec. (sic) Or pour moi, c’est un enseignement qui aurait du rester optionnel car comme nous avons pu le voir pendant nos ateliers Aline et moi, certains enfants n’adhèrent pas du tout à l’informatique en général et au code en particulier … et tant mieux ! Il ne doit pas s’agir de former des armées de développeur, mais de donner l’opportunité aux enfants d’explorer un domaine qui resterait totalement inconnu à ceux qui n’ont personne dans leur entourage pour les initier et peut être pas non plus accès à un ordinateur. Car oui il y en a encore en France en 2015, wake up!
Donc si j’avais carte blanche, je commencerai pas une grosse réforme de l’Education Nationale pour qu’elle soit plus proche du monde professionnel en général, et pas seulement des développeurs car il y a sûrement beaucoup d’autres métiers peu ou pas connus et donc beaucoup de ratés au niveau de l’orientation. Mais comme j’ai quand même appris deux trois trucs à force de fréquenter des agilistes à Mix-It, je la ferai porter par les premiers intéressés : les enseignants, les enfants et les professionnels !
Si tu te projettes dans quelques années est ce que tu veux continuer à faire la même chose, est ce que tu veux changer de secteur, évoluer de position.... ?
Quand on fait un bilan de compétences, on nous demande de trouver 3 options d’orientation ”réalistes et réalisables” (donc pas astronaute ou éleveur de bonbons bio, ça ne marche pas) et pour nous aider, on nous donne la liste de tous les métiers recensés par le ministère du travail. Quand je suis tombée sur celui de développeur, j’ai pensé “donc en fait ça consiste à être payée pour jouer aux legos ? OK, j’ai trouvé.” et je ne m’étais pas trompée puisque je m’amuse toujours autant … et quand je vois tout ce qu’il me reste encore à apprendre, je me dis que je ne suis pas prête de m’ennuyer. Donc non merci, je ne changerai pour rien au monde :)
Merci Audrey
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